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Journée d'étude

AAC : Journée d’étude "Mais on le connaît ce type ! " Les seconds rôles du cinéma français vus par la presse : physionomie(s), visibilité médiatique et imaginaires sociaux (1895-début des années 1960)

Journée d’étude 2 : « Mais on le connaît ce type ! »

Les seconds rôles du cinéma français vus par la presse : physionomie(s), visibilité
médiatique
et imaginaires sociaux

(1895-début des années 1960)

Appel à contribution / 17 octobre 2022 (Salle à préciser)

Dans le prolongement de la journée « Petits arrangements avec la biographie » (13 décembre 2021), qui interrogeait les mécanismes de fabrication des vedettes dans la presse imprimée, cette journée souhaite confronter les modèles médiatiques de construction des stars avec celui des seconds rôles au cinéma. Les processus de production d’un capital de visibilité des vedettes dans la presse commencent à être documenté par les « star studies » ; le traitement des « utilités », cette masse d’actrices et d’acteurs ne bénéficiant pas d’une telle couverture médiatique, est quant à lui bien moins étudié. La prise d’importance des seconds rôles dans la structuration dramatique des films et surtout leur mise en valeur par certaines critiques comme par les illustrations extraites des films et produites par la presse caractérisent un imaginaire social qui est au cœur du succès populaire des films.

Trois pistes seront explorées en priorité à partir de ce questionnement :

- L’économie de la visibilité dans la presse :

L’opposition entre « grands » et « petits » acteurs, vedettes et seconds couteaux, repose à la fois sur une économie des entreprises cinématographiques (salaires et contrats), une économie narrative (avec des modèles scénaristiques fondés sur des héros singuliers plutôt que sur des formules chorales - à nuancer selon les genres envisagés) et une économie médiatique : la place et les formes de visibilité que peut offrir la presse sont limitées, et il s’agit tout autant pour un journal de promouvoir un film ou une actrice que de répondre aux attentes de son lectorat pour provoquer l’achat d’un exemplaire. On s’intéressera particulièrement à cette gestion de l’espace médiatique dans le cas des seconds rôles : nombre de mentions, effets de liste, mise en page des portraits et photographies de scènes ou de tournage, images singulières ou collectives - autant de marqueurs à étudier dans le temps. La part des seconds rôles dans les pages consacrées au cinéma évolue-t-elle ? Peut-on déterminer des seuils, des formes permettant de repérer le passage d’un acteur d’un statut à un autre (singularisation des mentions, apparition de portraits de plus en plus grands, expansion des paragraphes consacrés à sa personne...) ? Peut-on repérer des stratégies multimédiatiques dans cette économie (la constitution de dossiers de presse par les entreprises cinématographiques, la réutilisation d’images dans plusieurs cadres - couvertures, affiches, portraits dédicacés) ? Quel est le rapport de publicité entre la presse magazine plus ou moins spécialisée, la critique cinématographique avec la popularité de ces « visages connus sur lesquels on ne met souvent pas de nom[1] » ? Leur place dans l’appareil iconographique produit par la presse et l’évolution éventuelle entre la presse des années 1930 et celle des années 1960 ? La sollicitation des seconds rôles dans les bandes-annonces ?

- Typologie des seconds rôles :

La journée cherchera également à définir cette notion de « second rôle » à partir des dénominations et représentations de la presse cinématographique des années 1920-1930. Il s’agira de proposer une typologie des modèles de mise en scène médiatique des seconds rôles, et de comprendre les interactions entre la construction narrative des personnages secondaires au cinéma (le « second rôle » comme catégorie filmique avec des caractéristiques physiques, psychologiques), leur entourage et leur environnement. Il s’agit également d’étudier la reconfiguration en catégorie critique et sociologique dans le discours journalistique : le second rôle comme identité et catégorie d’acteurs au statut social inférieur.

Dans le premier cas, la catégorie permettra également de s’interroger sur la récurrence de certains « types sociaux » au cinéma à travers les figures de seconds rôles. Ces personnages, apparaissant de façon limitée à l’écran, doivent fonctionner de manière extrêmement efficace, incitant à l’utilisation de stéréotypes. Quelles sont ces figures formant un répertoire de personnages réutilisés d’œuvre en œuvre (femme de chambre, confident, concierge, faire valoir, méchant/opposant du héros...) ? On pourra identifier d’éventuelles circularités visuelles au travers des différents médias, avec une réflexion dans la durée sur la possible porosité entre images fixes et images animées. Comment les images dessinées du dix-neuvième siècle (lanternes magiques, photographies sérielles jusqu’aux couvertures imprimées de presse) ont-elles pu imprégner une large part des imaginaires sociaux portés par le cinéma ? Comment ces mêmes images cinématographiques ont-elles pu être « cristallisées » sous forme d’images fixes par la presse spécialisée durant un premier demi- siècle, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ? Une analyse comparative des Unes consacrées aux vedettes et aux seconds rôles permettrait également d’observer les différences de traitement, tant dans les légendes que les photographies. Alice Tissot[2] et Madeleine Guitty[3], par exemple, présentent un physique disgracieux en première et quatrième de couvertures, qui rompt avec la traditionnelle beauté féminine affichée sur ces pages-vitrines destinées à « faire vendre ».

Dans le cas du « second rôle » comme catégorie d’acteurs, on pourra analyser la manière dont la presse contribue à inscrire certains acteurs dans un « emploi » particulier. Bernard Musson aura ainsi interprété un nombre impressionnant de domestiques ou maîtres d’hôtel, Hubert de Lapparent des tabellions ou Pauline

 

Carton de concierges et vieilles filles. Mais des acteurs tout aussi talentueux comme Léonce Corne ou Dominique Davray se distinguent, eux, par leur potentiel polymorphe tout en restant inscrits au cœur de la typification déjà évoquée. L’écriture scénaristique permet à ce titre au réalisateur, en accord avec le directeur de casting, d’entremêler des comédiens de métier, parfois issus des arts de la scène, avec des profils imposés par des figurations appréciées du public et dès lors « montés en grade ». Il faut aussi évoquer l’arrivée à l’écran de vedettes de la scène, manifestement présents pour des raisons « alimentaires » ou par jeu : citons par exemple Dario Moreno pour l’opérette, Jean Constantin pour la chanson, Maurice Biraud ou Francis Blanche venus du monde des ondes radiophoniques ou enfin toute la génération de la scène cabaretière des années 1950 (Rosy Varte, Judith Magre, Roger Pierre et Jean-Marc Thibault). L’essentiel est de comprendre les stratégies de mises en images ou en évocation par la presse, afin de créer un effet de connivence avec le lecteur-spectateur amené à retrouver des figures familières dans des rôles récurrents. Cette « proximité intuitive » avec le spectateur sert-elle de gage à une reconnaissance ? Elle semble en tous cas le laisser supposer entre les années 1930 et les années 1960 (et même peut-être un peu plus tard).

Le second rôle permet donc de saisir tout à la fois la configuration sans cesse en ré-échafaudage des imaginaires sociaux au cœur des œuvres mais également d’une « cosmogonie » fictionnelle exprimée par l’ensemble de la production dramatique. Cette approche comme catégorisation pourrait passer la Seconde Guerre mondiale et inclure la presse des années 1950, jusqu’à l’arrivée de la Nouvelle Vague, cette dernière modifiant la donne par sa prétention à une peinture du réel incluant le « non-acteur » aux côtés des personnages interprétés.

- Généalogie médiatique :

Enfin, il s’agira d’élargir l’empan chronologique considéré, pour revenir aux premiers traitements médiatiques des vedettes et des seconds rôles sur la scène et proposer une archéologie de ces modèles. L’idée serait de montrer comment le traitement visuel de ces couvertures critiques ou promotionnelles peuvent offrir une certaine linéarité esthétique de la presse théâtrale à la presse cinématographique. Mais on pourra également s’interroger sur l’existence collective de ces acteurs : l’ensemble des « seconds rôles » peut-il recouper la notion de « troupe » familière au public de théâtre ? Les acteurs forment-ils des communautés, avec des fonctions attribuées de manière plus ou moins stable, au sein de compagnies cinématographiques, auprès d’un réalisateur, d’une agence, et comment cette existence collective est-elle représentée par la presse ?

Se pose alors une question assez vertigineuse, amenée à être discutée : le monde des acteurs « non-vedettes » ne formerait-il pas, depuis le cinéma des origines jusqu’à la Nouvelle Vague, une sorte de « troupe de comédiens » à la fois nébuleuse et hypertrophiée dont le travail et l’inscription dans des stéréotypes (comiques et/ou dramatiques) soutiendraient la composition des acteurs principaux, des héros sur écran ? La perspective souhaitée se veut profondément interdisciplinaire, et la sélection s’attachera à confronter le plus possible des offres de contribution issues des études cinématographiques, historiques, mais également 3

 

littéraires, théâtrales, voire des études visuelles au sens large. L’inscription de cette seconde journée dans l’ANR Numapresse implique que le support médiatique soit au cœur des échanges. Partant du constat du dynamisme des recherches récentes consacrées aux revues théâtrales, les propositions portant sur l’iconographie de presse, et les éventuels itinéraires d’images entre arts de la scène et cinéma seront donc particulièrement attendues.

Bibliographie :

  • Christian-Marc Bosséno, Yannick Dehée (dir.), Dictionnaire du cinéma populaire français, Paris, Nouveau Monde Editions, 2004.
  • Ricciotto Canudo, L’usine aux images, Textes réunis et annotés par Jean-Paul Morel, Paris, Séguier, 1995.
  • Raymond Chirat et Olivier Barrot, Les Excentriques du cinéma français, Paris, Henri Veyrier, 1985.
  • Raymond Chirat et Olivier Barrot, Noir et blanc, Paris, Flammarion, 2000.
  • Marco Consolini, Romain Piana, « Scènes de papier », Revue d'Historiographie du Théâtre numéro 2 [en

ligne], mis à jour le 01/07/2015, URL : https:// sht.asso.fr/scenes-de-papier/

  • Alice Folco et Jean-Yves Vilaetton (dir.), « Le Document iconographique dans son contexte : le hors-champ des images du spectacle », European Drama and Performance Studies, 2014-2, n°3.
  • Jérémy Houillere , Un rendez-vous manqué : journaux illustrés et films comiques dans la France d'avant 1915, thèse sous la direction de Laurent Le Forestier et de André Gaudreault, soutenue à Rennes, en 2019.
  • Michèle Lagny, Marie-Claire Ropars et Pierre Sorlin avec la collaboration de Geneviève Nesterenko, Générique des années 30, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 1986.
  • Pierre Lherminier, Annales du cinéma français ; 1895-1929 ; les voies du silence, Nouveau Monde Éditions, 2012.
  • Sophie Lucet, « Pour une préhistoire des revues de théâtre », Revue d’Histoire du Théâtre, n° 259, juillet-septembre 2013.
  • Jacques Mazeau et Didier Thouart, Les Grands Seconds Rôles du cinéma français, Paris, PAC, 1984.
  • Chantal Meyer-Plantureux, La Photographie de théâtre ou La mémoire de l’éphémère, Paris, Paris audiovisuel, 1992.
  • Isabelle Moindrot (dir.), Le Spectaculaire dans les arts de la scène. Du Romantisme à la Belle Époque, Paris, CNRS Editions, 2006.
  • Dominique Païni, Paul Perrin, Marie Robert (sous la dir), « Enfin le cinéma ! », catalogue de l’exposition éponyme, Musée d’Orsay/RMN-Grand Palais, 2021.
  • Aurélien Poidevin, Rémy Campos, Alain Carou, De la scène à la pellicule : théâtre, musique et cinéma autour de 1900, Paris, L’œil d’or, 2021.
  • Serge Regourd, Les Seconds rôles du cinéma français. Grandeur et décadence, Paris, Klincksieck « Essai Caméra », 2010.
  • Serge Regourd, Éloge des seconds rôles, Paris, Séguier, « Carré Ciné », 2006.
  • Jacques Richard, Dictionnaire des acteurs du cinéma muet en France, Paris, Editions Bernard de Fallois, 2011.
  • Evanghelia Stead et Hélène Védrine (dir.), L’Europe des revues (1880-1920). Estampes, photographies, illustrations, Paris, PUPS, 2008, et L’Europe des revues (1860-1930), II. Réseaux et circulation des modèles, Paris, Presses Universitaires Paris Sorbonne, 2015.

Envoi des propositions

Les propositions (2500 signes), accompagnées d’une courte bio-biobliographie, doivent être adressées à Laurent.Bihl@univ-paris1.fr, solene.monnier37@hotmail.fr et jschuh@parisnanterre.fr avant le 15 mai 2022.

La journée d’étude aura lieu le 17 octobre 2022 à Paris.

Journée d’étude organisée par l’ANR Numapresse et l’Université Paris 1

comité d’organisation : Laurent bihl - maitre de conférences en Histoire et communication audiovisuelle, Université Paris 1, composante ISOR du Centre d’histoire du XIXe siècle / Solène Monnier - doctorante, Université Paris 1, composante ISOR du Centre d’histoire du XIXe siècle / Julien Schuh, maitre de conférences a l’Université Paris Nanterre, CSLF.

Comité scientifique : Anne Bléger, doctorante a l’Université Paris 1, composante ISOR du Centre d’histoire du XIXe siècle • Sebastien Le Pajolec, maître de conférences en Histoire et communication audiovisuelle, Université Paris 1, composante ISOR du Centre d’histoire du XIXe siècle • Pierre-Carl Langlais, chercheur en sciences de l’information et de la communication au CELSA (Paris-Sorbonne) • Vincent Lowy, professeur en Sciences de l’Information et de la Communication, directeur de l’ENS Louis-Lumière, composante ISOR du Centre d’histoire du XIXe siècle • Béatrice De Pastre, spécialiste du patrimoine cinématographique et photographique, directrice des collections du CNC • Myriam Tsikounas, professeure émérite d’Histoire et communication audiovisuelle a l’Université Paris 1, composante ISOR du Centre d’histoire du XIXe siècle

 

[1] « Ces visages que tout le monde coririaît...M1ais sur lesquels on ne peut mettre de nom », introduction au David Quinlan’s illustrated directory of film character actors, Londres, The Bath Press, 1995 (3ème édition).

[2] Quatrième de couverture de Cinémagazine, n°50, 7e année, 16/12/1927 et Une de Cinéa-Ciné pour tous, n°113, 15/07/1928.

[3] Quatrième de couverture de Cinémagazine, n°38, 2e année, 22/09/1922.