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Appel à contribution – Journée d'études doctorales et jeunes chercheurs - “Tiers Monde” et développement : impératif mondial et modèles locaux (1950 - 1970)

Appel à contribution – Journée d'études doctorales et jeunes chercheurs

Samedi 18 juin 2022 - Sorbonne (Salle Picard)

 

“Tiers Monde” et développement : impératif mondial et modèles locaux

(1950 - 1970)

  

Argumentaire de la journée 

 

Si, dans son ouvrage Keywords, Raymond Williams met en parallèle les termes de « développement » et de « Tiers Monde », c’est parce qu’ils seraient porteurs, en 1985, d’un même potentiel de confusion entre la générosité et l’insulte[1]. L’un comme l’autre sont pourtant incontournables pour qui s’intéresse aux trois décennies 1950-1970 : ils circulent alors des traités universitaires aux tribunes internationales, des mégaphones aux colonnes de presse, des manifestes aux bilans statistiques.

Pour les contemporains, nombreux, qui vivent l’époque selon un régime d’historicité futuriste – comme un prélude à celle qui suivra[2]–, le développement désigne à la fois un sens naturel de l’histoire, une promesse de plus grande prospérité, et une maxime pour l’action sociale et politique. Un usage savant en fait la « combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global »[3].

Depuis, les historiens ont entrepris d’apprivoiser le développement, comme l’envisageaient dès 1988 Catherine Coquery-Vidrovitch, Daniel Hémery et Jean Piel[4]. Ils ont commencé à « utilise[r] l’histoire comme méthode pour étudier et comprendre le développement, plutôt que de construire des théories du développement pour expliquer l’histoire et fournir des modèles prédictifs du futur »[5]. Pour schématiser, une première série de travaux ont interprété le développement comme un régime discursif redoutablement efficace, indissociable de la capacité des Etats-Unis à s’imposer comme un modèle à suivre de la société moderne. L’impératif du développement préexisterait à ses tentatives de réalisation locales et se serait diffusé mondialement dans les bagages des politiques adressées aux « régions sous-développées » par le président Truman et ses successeurs[6]. En partie en réaction, une historiographie aux choix chronologiques et géographiques très variés a su dépouiller l’objet « développement » de ce monolithisme intimidant, en insistant d’une part sur les « attentes changeantes » [7] et les projets contradictoires qu’a pu véhiculer un terme aussi abstrait, d’autre part sur le développement pris comme un ensemble de pratiques situées, irréductibles à un modèle unique même s’il est possible d’y voir des variations sur un répertoire politique commun (amélioration agricole, planification, éducation de masse, contrôle des naissances…)[8].

La démonstration n’est plus à faire qu’il est possible d’écrire des histoires du développement centrées sur le XIXe siècle[9], ou encore de mettre en évidence les nombreuses continuités entre développement colonial et développement post-colonial[10]. Le moment des années 1950-1970 nous semble, sans exclusive, mériter une attention propre au nom du paradoxe qui s’y fait jour : l’apogée du modèle de l’État-nation coïncide avec des politiques et constructions institutionnelles développementalistes pensées et menées à l’échelle nationale, et ce malgré la dimension locale de certaines initiatives. Pour autant, que l’on distingue premier, second et Tiers Monde, ou que l’on préfère une dichotomie entre centre et périphérie, ce sont des conceptions internationalistes du développement qui sont systématiquement au cœur des revendications débattues lors des négociations Nord-Sud.

Du global au local, cette journée d’études a donc pour ambition d’explorer les différentes facettes des discours, politiques et pratiques de développement pendant les années 1950-1970 en prêtant attention à la diversité des acteurs, et en particulier aux voix, tantôt similaires, tantôt contradictoires, des pays du Tiers Monde. Si la journée est ouverte à un large éventail de propositions, trois axes principaux ont été identifiés : (1) Le Tiers -Monde dans le système multilatéral : indépendance et développement à l’agenda international, (2) Le développement entre pratiques et théories : la circulation des savoirs, concepts et langages développementalistes, (3) Étatiser le développement : méfiance, concurrence et détournement : réalités du développement local.

Les propositions de communication en français ou en anglais de doctorants et jeunes chercheurs de toute origine géographique et institutionnelle sont les bienvenues. Si la présence physique des participants est encouragée, les interventions en visioconférence peuvent être envisagées. 

 

Axes d’études envisagés :

  1. Le Tiers Monde dans le système multilatéral : indépendance et développement à l’agenda international

Présents dès la création des institutions de Bretton Woods et de l’ONU, les questions de développement prennent une place centrale dans les débats multilatéraux à partir du milieu des années 1950. Dans le contexte de la Guerre froide et des indépendances africaines, l’ONU monte en puissance sur les questions économiques et sociales pendant les années 1960, décrétées “décennie du développement”. En parallèle, les pays en développement réclament une réforme générale des structures économiques internationales et institutionnalisent les relations Sud-Sud aux niveaux régional et inter-régional. Alors quelles revendications les pays en développement portent-ils et quelle influence ont-ils sur le système multilatéral ? Quelles innovations institutionnelles sont mises en place par et/ou pour les pays en développement afin de répondre à ces demandes ? En somme, comment le “système ONU” s’adapte-t-il aux revendications du Tiers Monde ?

  1. Le développement entre pratiques et théories : la circulation des savoirs, concepts et langages développementalistes

Les Etats du “Tiers Monde” sont un lieu privilégié pour l’élaboration de modèles économiques, de théories et de stratégies de développement : comment les exigences internationales sont-elles traduites, transposées ou contestées ? Quels savoirs se trouvent mis en avant, avec quels effets ? Quelles controverses intellectuelles ou scientifiques se nouent autour des attentes de développement ? L’idée même du développement est-elle critiquable ?

Ce deuxième axe se rapporte à l’histoire des idées, des représentations et des groupes qui les mobilisent (économistes, sociologues, agronomes, statisticiens etc.). Des contributions analysant la littérature grise ou académique développementaliste seront tout aussi bienvenues que des prosopographies d’experts ou des études de cas.

 

  1. Étatiser le développement : méfiance, concurrence et détournement : réalités du développement local

Bien des pays du Tiers-Monde connaissaient déjà, dans les premières décennies du XXe siècle, une tradition d’assistance et d’aide au développement, que ce soit par le biais de ministères pour les pays sous tutelle étrangère, comme le ministère égyptien des Affaires sociales fondé dans les années 1930, ou par l’intermédiaire de structures sociales pluri-centenaires (charité religieuse, associations, réseaux familiaux). L’inscription des objectifs de développement à l’agenda politique des nations du Tiers-Monde reconfigure les acteurs de la solidarité nationale : s’intègrent-ils aux réformes d’Etat ou préservent-ils leurs réseaux d’action privés ?

Attentives aux politiques développementalistes, les opinions publiques se saisissent de la notion de développement : comment est-elle abordée ? Quelles réactions suscitent-elles ? On appréciera la présentation de sources inédites ou originales (tribunes dans la presse, films militants, comptes rendus d’association, retranscription de discours publics) susceptibles d’éclairer le positionnement et la « signification imaginaire sociale » du développement pour ces populations[11].

 

Comité scientifique : Sarah Ben Néfissa (IRD), Elena Calandri (Université de Padoue), Agnès Labrousse (Sciences Po Lyon, Triangle), Catherine Mayeur-Jaouen (Sorbonne-Université), Philippe Pétriat (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).

Comité d'organisation : Antoinette Ferrand (Sorbonne Université), Thomas Irace (Université de Picardie Jules Verne), Anaïs Mansouri (Université de Genève).

Modalités de soumission : les doctorants et jeunes chercheurs intéressés par cette thématique de recherche et souhaitant intervenir lors de cette journée d'études doivent envoyer une proposition de communication d'environ 500 mots, au plus tard le 4 janvier 2022 à l'adresse suivante : jed.developpement2021@gmail.com. Elles seront ensuite examinées par le comité scientifique.

Dans la limite des financements disponibles, les frais des participants pourront être pris en charge : merci de bien vouloir préciser le trajet envisagé.

 

 

[1]  Raymond Williams, Keywords [2ème éd.]. New York : Oxford University Press, 1985. pp. 102-104

[2]  François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps. Paris : Seuil, 2003.

[3]  François Perroux, L’économie du XXe siècle. Paris : Presses Universitaires de France, 1964. p. 155.

[4]  Catherine Coquery-Vidrovitch, Daniel Hémery et Jean Piel (éd.), Pour une histoire du développement. Etats, sociétés, développement. Paris : L’Harmattan, 2007 [1988]. p. 41.

[5]  Joseph Hodge, “Writing the History of Development (Part 1: The First Wave)”. Humanity, vol. 6, n°3, 2015. pp. 429-463.

[6]  Par exemple Arturo Escobar, Encountering Development. The Making and Unmaking of the Third World. Princeton : Princeton University Press, 1995, ou plus récemment David Ekbladh, The Great American Mission: Modernization and the Construction of an American World Order. Princeton : Princeton University Press, 2011.

[7]  Frederick Cooper, “Writing the History of Development”. Journal of Modern European History, Vol. 8 n°1, 2010. pp. 5-23.

[8]  Corinna Unger, International Development. A Postwar History. Londres : Bloomsbury Publishing, 2018.

[9]  Michael Cowen & Robert Shenton, Doctrines of Development. Londres : Routledge, 2004. Monica van Beusekom, Negotiating Development: African Farmers and Colonial Experts at the Office du Niger, 1920-1960, Portsmouth : Heinemann, 2002.

[10]  Par exemple Alden Young, Transforming Sudan: Decolonization, Economic Development and State Formation. Cambridge : Cambridge University Press, 2017. Voir aussi Cooper, art. cit.

[11]  Cornelius Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société, Paris : Editions du Seuil, 1975.